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L'instant nature : « l'Orite (Mésange) à longue queue et le Bouleau »

À chaque saison, nous vous proposons, dans l'Instant nature, un dialogue entre un oiseau et un arbre. Ce dialogue est écrit par Éric, jardinier, guide jardinier, guide nature et patrimoine,sculpteur et peintre, écrivain, restaurateur d'art, et accompagnant à domicile auprès des personnes âgées. Et si écrire, jardiner, sculpter partageaient un lieu à soi où se tenir au monde. Cet automne dialogueront l'Orite (mésange) à longue queue et le Bouleau.

L'instant nature : « l'Orite (Mésange) à longue queue et le Bouleau »

« Heureuse », le mot s'écrivait sur le cahier, page vingt trois. Elle l'imaginait ainsi, ce dimanche d'octobre. La journée s’annonçait lumineuse et parfumée.

Œuvrait-elle à ses cueillettes ? Des Sauges peut-être ? Des Aspérules ou des Roses ?

Ce seul mot allégeait, fluide comme la petite pousse de ce Chèvrefeuille à la fenêtre, comme les vagues ce matin à la plage. « Quelle douce lumière », chuchotait May.

 

« Et voici un thé bien chaud, May », dit Violette, avec la douceur qui leur ressemble.

« Qu'observes-tu à la fenêtre ? »

« Ces mouvements de la vie, dit May. Des lumières, des sons, des mots. »

Est-ce que ce sont les Orites que nous entendons au jardin ? (les Mésanges à longue queue

s'appelaient désormais les Orites dans la classification).

Des notes susurrées, roulées, fines, dit May, animée par la douzaine d'oiseaux qui volent de

troncs blancs en rameaux souples, une guirlande onduleuse (ils restent ensemble dans leurs rondes automnales et hivernales, à s'attendre et repartir), les petites boules de plumes, la longue queue, que Violette repérait vite aussi, le bandeau du bec à la nuque, ces roussâtres et rosés, les noirs et blancs. Elles se régalent des graines ailées des Bouleaux pensaient-elles ?

 

Au jardin la migration s'observait aisément, le départ des Coucous en juillet, l'arrivée des Rougequeues en mars, ou l'ératisme des Orites : par compagnie de plusieurs familles souvent, elles errent pour se nourrir, sur le même secteur sans vraiment migrer, sédentaires en fait. Le soir venu, les petits êtres de vie se blottissent ensemble, plumage ébouriffé, réchauffés.

May observait dans ce Bouleau des Mésanges nonnettes les rejoindre, elle imaginait volontiers des dialogues, qui sait.

 

Est-ce que nous œuvrerons notre nid tissé sur ton tronc ce printemps ?

Ce chef d’œuvre d'architecture sur moi avec plaisir, dit l'arbre (il était un Betula utilis var. jacquemontii), ce grand œuf tissé de laine, plumes et feuilles ; soutenu de toiles d'araignées et de fibres végétales; garni de lichens et d'écorce blanche, parfois même de pétales de fleurs ; les deux oiseaux s'imaginaient ce camouflage parfait et son entrée discrète en haut... La famille pourrait admirer ce jardin composé à quatre mains par May et Violette. Des notes à partager.

La ronde joyeuse plus loin continuait, il fallait la rejoindre ; adresses repas, mots pour se suivre, et la détermination à aller se poser sur cet arbre là… Des Roitelets s'étaient invités à la bande.

 

Les sons venaient me rappeler quelque chose de l'enfance songeait May, quelque chose de la mémoire - de quelle mémoire d'ailleurs -, un rêve, un vécu, une aspiration, une douceur, les mots de l'eau. En tout cas une énergie du lieu, une sorte de présence floue et ancrée, une altérité avec qui parler et œuvrer. Le soleil d'octobre éblouissait les troncs blancs de la chambre de dix-sept Bouleaux qu'elle entretenait avec Violette. Maintes oiseaux migrateurs s'y étaient posés, nourris, comme ces rares Jaseurs boréaux venus du Grand Nord.

 

Betula utilis (de l'Himalaya) était un des coups de cœur des lieux, avec Betula albosinensis var. septentrionalis (de Chine).

Les quatre espèces européennes éclairaient également le jardin : B. pendula (Bouleau verruqueux), B. pubescens (B. pubescent), B. nana (B. nain) et B.humilis (B. peu élevé).

Ces essences pionnières appréciaient leurs places en pleine lumière, avec ici un Pin sylvestre et des Bruyères pour évoquer leur arbre complice des landes scandinaves, ces contrées jadis aux bardages de toit étanches par la résine de l'écorce du Bouleau. La résine goudronnée extraite était utilisée depuis le néolithique comme hydrofuge et colle, sans compter l'arbre et ses semelles et chaussures, canoës et écritures, armatures de vannerie, balai de ménage, tipis et toits ; bois blancs et soyeux, skis et raquettes, anti moustiques, tambours, sève et sirop.

 

Avec fluidité et à faire jouer le vent du paysage, les deux jardinières avaient planté avec eux dans une esthétique simple, des genres proches de cette famille des Bouleaux ; les Bétulacées : Noisetier, Charme, Aulne et Charme-Houblon.

 

Le Bouleau aurait-il d'autres chuchotements pour le couple de Mésanges à longue queue au nid ce printemps ? Qu'il était ami, protecteur et confident, symbole de lumière, de renouveau, de la Norvège et ses peintres romantiques. Qu'il y aurait des pétales d'écorces pour décorer.

 

J'aime ces délicieux mois d'automne écrivait May, ces feuilles encore sur des Bouleaux, Aulnes, Saules, Chênes, Houx, Noisetiers ou Pommiers, et déjà leurs silhouettes se dessinent. La nature se pose, avec ses beautés, ses projets pour le printemps. Et tout le temps d'y penser.

Qu'avaient à se dire ces mots sur les chatons emplis de minuscules graines ?

La ronde de plumes colorées repassait, et un vent léger. Ces jours d'octobre novembre verraient baisser peu à peu les passages d'autres oiseaux migrateurs venus du nord-est, direction sud-ouest, des rapaces, des fringilles ou des Oies.

Dans le ciel s'ouvrait sans cesse un livre de ces routes étroites et larges voies de migration, de ces disparités de dates, de ces choix au plus court ou le long de la mer, de ces vitesses et altitude, de ces Oies, Tourterelles, Hirondelles, Alouettes, Fauvettes ou Grives.

Ces plumes de vie étaient la définition du jardin elles-aussi, cette juxtaposition des échelles du temps : la roche, le Bouleau, la Mésange, la délicate couleur de novembre sur son ciel de vent.

 

« Demain, avec les filles nous peindrons les couleurs des Bouleaux sur le carnet » s'amusait

Violette. Et les plus belles satisfactions viendraient de choses simples.

« Et j'imagine leurs belles découvertes » répondait May, des pétales pour colorier…

Elles avaient invité l'adorable famille de deux amies et leurs deux filles. Le jardin d'avance se réjouissait, on planterait des arbres, verrait les Mésanges, cuisinerait, passerait du coq à l'âne, s'amuserait de légèretés, créerait de mobiles à écrire nos idées. On parlerait de la France, où des jardins et une pépinière passionnée attendaient ensuite Violette et May.

 

Dès leurs arrivées, chacune avait trouvé ses repères, avait écouté avec enthousiasme l'une et l'autre. Les lumières du jardin animaient les phrases.

May observait tout, et sa petite pousse à la fenêtre. Elle pensait au jardin créé entre technique et poésie, comme une action presque existentielle dans un monde devenu si complexe, et la joie de partager ce petit monde parfumé, un monde dans un monde. Que de difficultés et de joies, à créer, à observer, tout, la vie, inlassablement, des quêtes de légitimité, des vieilles complicités, des douces évidences. Et le jardin aimait que l'on pense, que l'on ressente des sensations.

Était-ce le bon chemin toutes ces questions ? Les phrases répondaient oui, leurs mots se

posaient sur le Chèvrefeuille.

Les filles s'imaginaient le jardin, Violette leur parlait des Bouleaux et des Mésanges. En début de mars prochain, femelle et mâle allaient édifier le nid sur environ 18 jours, la solidité de l'extérieur d'abord, puis la décoration intérieure avec des plumes, dont chacune demandait un voyage. Sept à douze œufs blanc mat pointillé de roussâtre allaient être couvés par la femelle, pour une éclosion quatorze jours après et un envol de la nichée à l'âge de quinze jours.

Les filles s'imaginaient le spectacle d'une Mésange en vol avec une grande plume dans le bec, celle d'une Poule peut-être, ou d'un Hibou alors, ou les duvets fins d'une Canne (il y a une ferme plus loin), des douces, des colorées, et les petits au chaud dans ces duvets. Des petites écorces blanches pour décorer ? Chic alors !

Et combien de plumes y avait-il dans un nid ? Les échanges s'illuminaient.

 

« Descendons au jardin », dit May, avec la joie de toutes.

« Prenons une photo, dit une fille. Avec les Bouleaux. » On se préparait, des bottes et des chapeaux, des sourires, et May avait une bêche. Nous allons planter au jardin ? Un arbre peut-être, dit Violette, qui regardait avec complicité ses deux amies.

Plus bas en effet, un magnifique Betula papyrifera attendait, le Bouleau à papier, d'Amérique du Nord. Une écorce blanche dévoilant en s'exfoliant la nouvelle plus brun orangé, un joli port pyramidal à vingt-cinq mètres de haut (une grande espèce), un arbre rustique et un ombrage subtil étaient certains atouts. À y mettre des ailes, le Mésangeai du Canada y viendrait.

On œuvrait et terminait avec mille soins la plantation, les filles avaient pris un petit caillou souvenir dans la poche. Les mots pensaient à l'arbre avenir, au signe qu'il devienne grand et beau, au sens et à l'usage que l'on donnait là.

« Comment nous nous sentons bien dans le jardin ? » demandaient les filles.

 

Violette trouvait que la photo ressemblait au jardin, voyait dans les yeux de May une interrogation qui menait au delà de cette image même du jardin, une inquiétude pour ce monde, un défi presque (et ses beaux gestes de tenir cette bêche, là, comme çà), et déjà des réponses d'un monde nouveau à inventer ensemble. De ces rêveries familières, elle imaginait une lettre.

 

Une lettre à écrire au jardin. La famille était repartie, les beaux souvenirs étaient là.

« Ici les lettres s'écrivent au petit matin », dit le Bouleau, avec la musique dans ses feuilles.

« Et l'affection de les composer, dit la Mésange. Des envies d'envoyer, de recevoir, et des timbres colorés venus d'ailleurs » Les Mésanges parfois recevaient des congénères venus du nord aux têtes toutes blanches. De ces phénomènes migratoires et d'hypothèses en réponses, des questions aimaient rester ouvertes, sujettes à discuter et écrire.

Glaciations et réchauffements gardés en mémoire, longueur du jour et cycles sexuels, horloges internes de voyage, sens innés ou acquis, magnétisme terrestre, soleil, et astre.

Astre, ce mot..

 

Méticuleuses, avec humour, May et Violette quant à elles rédigeaient la lettre.

« Le passage d' Emily Dickinson m'inspire », dit May.

De dire au jardin que nous allons nous absenter, comme l'écrit Emily ? Et lui dire que nous

l'aimons ajoutait Violette.

 

Nous absenter pour un petit séjour en France, dit Violette, exaltées par le voyage en mer, les routes des paysages en Côte d'Opale, et la visite de la fameuse pépinière Hennebelle, à Boubers-sur-Canche, ses feuillages, écorces, fruits et floraisons, ses passions et histoires, ses allées.

Une brouette et la bêche, milles mots animés, et les deux frères trouveraient la perleattendue, créée à Boubers : Betula costata 'Hennebelle', à l’écorce crème et à son automne délicieusement jaune, et Betula albosinensis 'Princesse Sturdza', (ce nom évoquait la Normandie) à l'écorce rose orangée.

La lettre parlait ensuite des fleurs.

« Des fleurs il y en avait » relisait-t-elle amusée, celles de l'automne : des Bruyères, des Asters, des rameaux parfumés. Il y avait le Pin, les Saules. Oh oui - et elle imaginait encore leurs couleurs en harmonie avec le rose blush, le bleu myosotis, le jaune astrée…

 

Il n'avait pas de fin, juste des mouvements, et la ronde des Mésanges à longue queue s'envolait vers un lieu indéfini, un arbuste peut-être, le Genévrier ou l'Orme, vers un temps inscrit dans la plante, et celui d'une nature éternelle.

Observer, inlassablement. May était sortie. « Et supposons, pensa-t-elle, que chaque saison puisse parler d' un oiseau, d' un arbre, des fleurs ou des couleurs et parfums au jardin. »

 

« L'aventure continue oh oui » ajoutait-t-elle, libre.

Des nuages partaient en mer, le vent tournait les pages.

Publié le 16 octobre 2024