Il y a bien longtemps que nous n’avions pas sillonné les Hortillonnages d’Amiens. Si nous avions un petit conseil à donner à celles et ceux qui souhaitent (re)découvrir cet écrin de nature assez magique (300 hectares de jardins flottants !), profitez du Festival International des Jardins qui s’y tient jusqu’au 13 octobre : supplément d’âme garanti ! Ce grand rendez-vous culturel conjugue le mot « créations » au pluriel. Depuis 15 ans, chaque été est l’occasion de faire dialoguer les œuvres de plasticiens, de scénographes, d’architectes et de paysagistes. Certaines restent le temps d’une saison, d’autres s’intègrent durablement dans le paysage…
Une expérience unique
L’expérience se vit en barque ou à pied, on vous conseille les deux ! Au départ du port à fumier à Camon, lieu qui jadis servait aux maraîchers pour ramener le fumier sur leurs exploitations, vous pouvez prendre place dans une barque électrique et voguer d’île en île. Il ne faut que quelques secondes pour ne plus percevoir un seul bruit de la ville pourtant si proche. Assez vite, on se laisse happer par les chants et cris des oiseaux, qui finalement feront intégralement partie du voyage. La première escale dévoile le Potager Embarqué du paysagiste Florent Morisseau. Jusqu’à ce qu’il s’en empare, cette parcelle n’était qu’une masse en friche, un foisonnement dru de végétaux. C’est à partir de ce fouillis de ronces et de saules que le jardinier a construit ce potager récompensé du Grand prix du concours national des jardins potagers. Il y a un peu plus d’un siècle, 1 000 maraîchers vivaient de leur exploitation dans les Hortillonnages d’Amiens… Ils ne sont plus que huit aujourd’hui. De quoi s’interroger, non ?
Poser question(s)
Questionner la société, comprendre les liens entre nature, culture, agriculture et patrimoine… Chacune des 50 œuvres intègre pleinement dans sa conception la préservation de l’écosystème, la fragilisation des berges, la ressource en eau, l’activité nourricière, la qualité de l’alimentation, les migrations. À chacun, ensuite, d’y trouver un sens et d’y porter un regard amusé, critique, curieux… ou tout simplement contemplatif. Ainsi, sur une île, on fait l’expérience de devoir retrouver son chemin dans un labyrinthe en permaculture, tandis que sur une autre, on s’étonne d’une microstation énergétique tout droit sortie d’un roman de Jules Verne ! L’installation du plasticien François Dufeil est remplie de compost qui permet de chauffer les sièges reliés à la machine. De quoi avoir les fesses bien au chaud pour contempler le paysage qui nous fait face…
Susciter l’émotion
Sur l’eau, on croise aussi le chemin de radeaux repris par la nature qui dénoncent sans aucun doute le sort réservé aux migrants. Chaque artiste est libre d’exprimer ses questionnements actuels, et certains nous touchent plus profondément. Parmi les œuvres qui ont résonné particulièrement en nous : Roques, une installation paysagère de l’atelier Faber qui interpelle sur les phénomènes d’artificialisation des sols. Cette cabane de 20m2 représente la surface reprise chaque seconde en France aux terres agricoles pour construire. Ou encore Aquatique des archisculpteurs Vincent Bredif et Julien Fajardo qui interroge les modes d’habiter avec ses cabanes-mikado ! Sur l’étang de Clermont, qui fait le lien entre toutes les îles, on apprécie le calme qui règne en maître. Le nombre de barques a été limité à 24 pour préserver la quiétude des promeneurs et la biodiversité.
L’île aux Fagots
Néanmoins, nous n’avons pas regretté d’avoir posé le pied à terre pour aller se promener sur l’île aux Fagots à Amiens, haut-lieu du festival, elle aussi. Au cœur des Hortillonnages, à l’emplacement de l’ancienne piscine municipale de plein air, cette île dédiée désormais à la médiation et sensibilisation à la nature, abrite à elle seule pas moins de 11 œuvres. On vogue ainsi entre une maison à insectes à l’architecture fantastique réalisée en céramique traditionnelle et en impression 3D et un labyrinthe de glace dont la sortie n’est pas évidente… Et on s’émeut devant la poésie de l’œuvre Akpaku, signée du plasticien togolais Kokou Ferdinand Makouvia qui s’est inspiré des rituels de son pays, pour revisiter la célèbre laitue des Hortillonnages et ainsi rendre un bel hommage à l’époque maraîchère. Une expérience familiale accessible à tous qui touche toutes les générations et les sensibilités tant les approches sont nombreuses. Les plus petits seront ravis de guider la barque ou de jouer à cache-cache entre les œuvres pendant que les plus grands débattent de ce qui les surprend. Un musée à ciel ouvert, où la nature devient le trait d’union entre le visiteur et l’œuvre.
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Publié le 11 juillet 2024